Pearl

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PEARL

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« Tu sais, Connie, je n’ai pas aimé ta façon de regarder Wesley quand il t’a offert cette glace aux noix de pécan.
– Parce que je l’ai regardé comment, selon toi ?
– Connie ! Tu sais bien ce que je veux dire ! Tu as regardé Wesley comme si….comme s’il comptait pour toi.
– Mais bien sûr que Wesley compte pour moi ! C’est un ami et…
– Ne joue pas avec moi, Connie baby. NE JOUE PAS AVEC MOI ! Ce n’était pas le regard qu’on adresse à un ami. Et lui , il t’a regardé de la même manière. C’était….c’était déplacé !
– Luke Hamilton ! Je regarde les gens comme j’en ai envie ! Tu sais que j’adore les noix de pécan. La glace était délicieuse et j’ai adressé à Lew un regard amical, c’est tout !
– Non, Connie ! NON ! Parce que ce regard tu lui as adressé AVANT de goûter la glace ! Comment savais-tu qu’elle allait être délicieuse ?  »
La nana du casting me fait signe d’arrêter. Merci, dit-elle, nous vous recontacterons. Ce qu’elle ne fera jamais. Pour moi, c’est la trente-huitième audition ratée depuis janvier, une sorte de record dans le Guiness Book des loosers. L’agent de casting qui me donnait la réplique me regarde avec un subtil mélange d’indifférence et de mépris. Je suis touché en plein coeur.
 » Strangeways, here we come », une série clone de « Dawson » programmée pour septembre, se fera sans moi.
Je sors du studio à midi trente. J’essaye de me convaincre que je n’ai pas faim car je n’ai rien à me payer sinon de l’amertume.

A l’Office Municipal pour l’Emploi, je fais la queue deux heures et demi avant de rencontrer ma nouvelle conseillère. C’est une assez jolie fille qui répond au doux nom d’Amanda Kruger.  » Il ne faut pas désespérer, monsieur Hasselblaink. Vous allez finir par décrocher quelque chose. Vous êtes joli garçon. » Ayant jaugé la nana et étant convaincu qu’elle ne cherche pas à me proposer la sieste crapuleuse, j’en déduis que c’est le seul compliment qu’elle ait pu adresser à un minable dans mon genre.  » Et encore, mademoiselle Kruger, vous n’avez pas tout vu !
– Hu ! Hu ! Hu ! Vous n’allez tout de même pas vous déshabiller ici ?
– Il faudra bien, si vous voulez me proposer un rôle dans une production…disons parallèle. »
Mais elle n’a rien à me proposer, même pas un rôle de bite en érection chez Luca Damiano.
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Papa Poubelle

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PAPA POUBELLE

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Saleté de cochonnerie de temps, un hiver de Sibérie. J’ai les pieds qui ne sentent plus leurs orteils, plus une goutte de sang là-dedans, les doigts c’est pareil, ça fait mal quand je les plie et j’ai les ongles transparents avec du gel en dessous. Pourtant j’ai des bottes fourrées avec de la laine d’ours et mes mains sont protégées tout le temps avec des nouveaux gants matelassés comme des gilets pare-balles. Mais il fait trop froid. On est à Marienau en Moselle et ici en hiver quand tu tombes en panne dans une tempête de neige, on te retrouve sous forme de glaçon géant dans ta voiture, avec le visage tordu et les dents qui ont tellement claqué qu’elles ont foutu des miettes d’émail sur le volant. Au moins quand j’ai froid comme ça, ma maladie et ses grattements me laissent tranquille.

J’ai un kilomètre à pied pour rentrer du dépôt jusqu’à chez moi. On habite dans une petite ville, au quinze de la route de Forbach. Je n’aime pas ce chiffre, je n’aime pas les chiffres impairs. D’ailleurs j’ai eu trente neuf ans il y a six mois et rien ne va depuis.

Sur le chemin, il y a les cris des corbeaux. A la maison, c’est le bruit des mômes. Un enfer, aussi. Ils ont un, trois, cinq, sept et neuf ans. Tous ces chiffres impairs ça ne peut que porter la poisse. Ils braillent ensemble ou séparément, un vrai concert de corbeaux. Quand Armande, ma femme, s’y met aussi, ça donne envie d’être sourd même si ça serait moins pratique pour écouter les émissions à la radio.

J’ai déjà pris une douche au dépôt mais Armande veut toujours que j’en reprenne une à la maison quand je rentre. A cause de ma maladie (la gale des poubelles), ce n’est pas vraiment une douche que je prends : je me trempe dans une bassine réservée pour moi et qu’on jettera quand je serai guéri. L’eau est souvent tiède et des fois froide parce que tous les gamins sont passés dans la baignoire et qu’il n’y a plus beaucoup d’eau chaude. Dès que je sors du baquet, je mets mes gants spéciaux de la maison pour ne pas toucher des choses ou les enfants avec mes doigts pleins de gale. Je ne peux même plus faire des caresses à Armande, elle dit que quand je lui passe la main sur la tête avec les gants ça lui fait crisser les cheveux.

On est au repas du soir et comme d’habitude c’est le grand n’importe quoi. La bouffe vole de partout, on dirait que les gniards font un concours. Cindy, la grande, n’est pas à table. Elle boude dans sa chambre, me dit Armande. Va la voir parce qu’en plus c’est à cause de toi.

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Dog Show

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DOG SHOW

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Un été torride, quelque part dans le Sud, l’année de mes seize ans.
Papa n’était jamais là, toujours dans la capitale pour ses affaires. Il débarquait certains week-ends, avec un téléphone qui lui mangeait la paume et l’oreille, un ordinateur portable en forme d’oeuf d’autruche, une cravate blanche. Ses jambes étaient maigres et diaphanes, pigmentées par un fin lierre veines violettes et une dizaine de misérables poils noirs. Il ne venait quasiment jamais avec moi à la plage. Les rares fois où il consentait à m’honorer de sa présence, il s’asseyait dans la position du lotus et dépliait un journal économique avec des courbes de graphiques qui s’entrecroisaient inéluctablement.
Je n’aimais pas quand mes parents étaient réunis. Cela provoquait de longs silences ou des claquements de portes qui affolaient la poussière dans les lames de lumière poussant entre les persiennes.
Lorsqu’avec ma mère nous occupions seuls la grande maison près des rochers, j’appréciais le thé hindou pris ensemble à la nuit tombante, les réveils tranquilles en fin de matinée, le temps qui ralentissait à notre guise. Et surtout la grande liberté qu’elle me laissait.
Je ne savais rien de ses journée et elle se fichait des miennes. Je partais à la plage vers midi et, avec des amis, nous nous régalions de plats délicieux mélangeant riz et poissons. Nous étions une bande d’adolescents fougueux qui passions le jour à nager, taquiner l’océan dans des grandes barques, rouler dans le sable au gré de combats amicaux et féroces. Et puis nous parlions. De filles, évidemment, des mignonnes garces qui voulaient de mêler à nos jeux. Nous comparions la taille de leurs seins, le velouté de leur bouche, le galbe de leurs mollets, le cambré de leur cul. Nous regardions en douce les femmes qui descendaient mollement vers la mer ; nos yeux étaient avides des maillots épousant les renflements intimes. Nous étions épouvantables de cruauté, de lubricité, de prétention et de grossièreté.

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En dessous ensemble

En dessous ensemble

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EN DESSOUS ENSEMBLE

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Sur la table de la cuisine recouverte d’un grand linge blanc, Teresa Mulles repasse les chemises de ses hommes. Le ventilateur qui tourne pourtant à plein régime ne remplace pas la climatisation artisanale bricolée par son mari. En panne, le bazar, une fois de plus. Teresa transpire, elle ne cesse de s’essorer le front du revers de la main gauche. Tout l’énerve.
Pedro, d’abord, l’énerve. C’est son mari, un bavard et un incapable. Ses fils, ensuite, l’énervent. Ils s’appellent Lew et Gabriel, une fine équipe : un grand débile et un petit vaurien. Les corvées l’exaspèrent, surtout dans ce bled où s’entasse toute la poussière du désert, surtout dans cette maison où tout ce qui doit normalement soulager les souffrances de la ménagère tombe régulièrement en panne. Les habitants de Santa Velada l’horripilent, surtout Marisa Torrance, la femme de l’épicier, qui a osé dire qu’elle préparait la bucha mieux qu’elle et que les Mulles vivaient en banlieue parce que leur maison se tenait un peu à l’écart de la ville. Oui, tout énerve Teresa, et plus encore aujourd’hui. Elle n’arrive pas à écouter son programme télé parce qu’à l’étage les garçons se chamaillent une fois de plus et font un barouf d’enfer. Pedro est au téléphone dans le living, il vocifère pour couvrir le bruit que font ses fils. Rageusement, Teresa se jette sur la télécommande et pousse le volume à fond. Tina Turner se met à hurler typical male, c’est comme la plainte rauque d’un loup-garou. A glacer le sang. Teresa baisse le volume. A l’étage, seules les mouches n’ont pas été sonnées. Dans le living, Teresa aperçoit la tête décomposée de son mari, yeux exorbités, qui la regarde la bouche ouverte comme s’il venait de voir ressuciter sa mère. Teresa retourne à son repassage sans dire un mot, les lèvres soudées. Pedro débarque dans la cuisine, la main collée au téléphone.
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French Doctor

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FRENCH DOCTOR

Le professeur Bernier avait décidé de rentrer pour faire une surprise à sa femme ; il avait quitté la clinique à seize heures. Dans sa voiture, tandis que les trois ténors faisaient gonfler les baffles avec una storia importante, il songeait avec amusement qu’il n’avait pas regagné le domicile conjugal aussi tôt depuis une vingtaine d’années. Ce jour-là, Harriet avait perdu les eaux en début d’après-midi mais elle n’avait pas osé appeler son mari tout de suite, car elle savait qu’il était occupé à redresser le nez d’une célèbre animatrice d’émission pour enfants. Interrompu au beau milieu de son opération de chirurgie esthétique, Samuel Bernier avait complètement foiré. Il avait laissé la célébrité en plan avec un nez en trompette et était parti aussitôt assister sa femme. Arrivé à son domicile, il avait trouvé Harriet les pattes en l’air sur le canapé trempé de liquide amniotique et de sang. Il avait donné naissance à l’enfant à l’ancienne, avec de la charpie et de l’eau bouillie. Le gamin avait survécu mais devait mourir dix-sept ans plus tard dans un accident de voiture avec six autres copains bourrés qui étaient sortis d’un rallye à Neuilly avec plusieurs grammes dans le sang. et les cloisons nasales brûlées par la coke. L’évocation de cet épisode funeste amena des larmes aux yeux de Samuel Bernier. Ils n’avaient pas eu d’autre enfant. Ou plutôt Harriet n’avait pas pu garder le deuxième, descendu trop rapidement entre ses jambes au hasard d’une fausse couche lors du deuxième mois. Après, plus rien.
Samuel Bernier fut obligé d’arrêter sa voiture, de couper le lecteur de CD. Il laissa ses larmes couler, denses, abondantes, des larmes qui trempèrent son pantalon. Il sortit de sa voiture, fit quelques mètre sur le bas-côté sans faire attention aux taches sur son bas de costume qui faisaient rire les automobilistes. L’un d’entre eux, vitre baissée, passa au ralenti et le traita d’incontinent chronique. Il remonta dans sa voiture, se moucha et enclencha le contact. La musique et le bruit du moteur revinrent. Il retrouva le sourire. Il allait rentrer tôt, avec un petit cadeau pour Harriet, un colifichet : une montre Agnès B. en platine. Elle irait bien à son poignet si fin. Elle ferait bien dans sa collection. Harriet se faisait opérer demain et elle avait besoin de tout son soutien, de cet amour qu’il sentait revenir. Il ne l’avait pas trompée, il n’avait jamais cessé de l’aimer, mais il s’en était progressivement détaché au fil des années. Mais il bandait à nouveau pour elle, et les petites pilules bleues qu’il ingurgitait avant leurs rapports n’y étaient pour rien. Le vagin d’Harriet avait recommencé à l’exciter.

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